La vision de « l’International Crisis Group » pour le Burkina Faso

Dans ce rapport, International Crisis Group, cette ONG internationale, revient sur comment Blaise Compaoré a perdu le pouvoir et propose des pistes pour une transition réussie au Burkina Faso.

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C’est en réalité sans surprise que Blaise Compaoré a démissionné le 31 octobre 2014, au lendemain d’une journée insurrectionnelle historique. Vieillissant et déconnecté de la réalité, son régime a fait place à une transition incertaine, dirigée par un pouvoir bicéphale, composé de militaires et de civils, qui s’appuie sur des institutions provisoires et fragiles. Le gouvernement actuel dispose de neuf mois pour organiser des élections générales prévues pour le 11 octobre 2015. Les partenaires internationaux du Burkina Faso doivent l’aider à atteindre cet objectif tout en maintenant le dialogue avec les militaires afin qu’ils quittent le pouvoir à la fin de la transition. Ils doivent aussi tirer les leçons du soutien qu’ils ont apporté au régime Compaoré, fermant les yeux sur sa mauvaise gouvernance en échange de la préservation de leurs intérêts stratégiques.

Les quatre acteurs qui animent la transition – l’armée, l’ancienne opposition politique, la société civile et la rue – ont pour le moment réussi à s’entendre pour stabiliser de manière pacifique et relativement inclusive le pays. C’est le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, un membre de l’ancienne garde présidentielle du président Com¬paoré, qui détient aujourd’hui la plus grande part du pouvoir. Si les militaires ont montré d’inquiétants signes d’autoritarisme, le Burkina n’est pas pour autant sous la coupe d’une junte. Le pouvoir de l’armée est encadré par une charte qui lui impose de partager l’exécutif et le législatif avec des civils, dont le président Michel Kafando, par une société civile et une rue qui restent mobilisées, et par une communauté internationale vigilante qui fournit une aide financière indispensable à la survie du régime actuel.

Trois points de tension menacent toutefois la stabilisation du Burkina : l’antago¬nisme entre aspiration à un changement radical de gouvernance et volonté réaliste ou réformiste de préserver la stabilité ; l’écart entre le temps court de la transition et l’ampleur de la tâche à accomplir ; et la difficulté de préparer des élections et des réformes dans un contexte de finances publiques dégradées. Enfin, la dissolution de l’an¬cienne garde présidentielle, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), fait peser, si elle est mal conduite, un sérieux risque de dérapage de la transition. Sans concertation, elle pourrait conduire les éléments de cette unité d’élite, la mieux armée du pays, à réagir violement.

Les fortes attentes de la population, après 27 ans d’un régime semi-autoritaire, et le risque que celles-ci soient déçues, font également peser un risque sur la transition. La population attend que justice soit faite sur l’assassinat en 1998 du journaliste Norbert Zongo, qui enquêtait sur le meurtre non élucidé de David Ouédraogo, le chauffeur du frère cadet de Blaise Compaoré. Cette affaire est emblématique des dérives de l’ère Compaoré et sa résolution est une revendication clé de la société civile. L’amé¬lioration du niveau de vie, notamment l’accès à l’emploi et à la santé, est également une revendication importante de la population dans un des pays les plus pauvres du monde.

Le gouvernement ne pourra cependant pas agir sur tous les fronts à la fois. Il semble pour l’instant tenté de satisfaire les exigences de la « rue » en multipliant les promesses. Mais plus celles-ci sont significatives, plus il sera difficile pour le gouvernement de tout entreprendre et de tout régler. Le départ de Blaise Compaoré ne signifie donc pas que le Burkina Faso est tiré d’affaire. Pour garantir la stabilité du pays jusqu’à la fin de la transition, plusieurs mesures doivent être prises.

RECOMMANDATIONS

Pour rétablir la confiance entre la population et les autorités

Aux autorités de transition burkinabè :

1. Établir clairement les priorités du gouvernement pour les neuf prochains mois à venir. Celles-ci doivent aller dans quatre grandes directions : le rétablissement de la confiance entre les pouvoirs publics et la population ; l’amélioration des règles électorales ; la production d’un projet de nouvelle constitution ; et la réforme de l’armée.

2. Donner une suite concrète aux promesses exprimées par le président Michel Kafando lors de la présentation de ses vœux en trouvant des ressources pour le programme de lutte contre le chômage des jeunes et en procédant au recrutement de personnel de santé qualifié.

3. Faire la lumière sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de David Ouédraogo et, s’il y a lieu, émettre une demande d’extradition contre les auteurs et les commanditaires de ces deux homicides.

A la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, à la France, aux États-Unis, à l’Union européenne et à Taïwan :

4. Contribuer à la mise en œuvre rapide du programme pour favoriser l’emploi des jeunes annoncé par le président Kafando.

Pour améliorer le système politique et électoral

Aux autorités de transition burkinabè :

5. Modifier le code électoral afin d’autoriser les candidats indépendants à se présenter aux élections locales et législatives et fixer un plafond pour le financement des campagnes législatives et présidentielles.

A la Commission électorale nationale indépendante :

6. Effectuer un travail de mobilisation et de communication auprès de la jeunesse pour favoriser sa participation aux élections.

A la deuxième sous-commission chargée des réformes constitutionnelles, politiques et institutionnelles :

7. Élaborer un projet de nouvelle constitution qui réduise les pouvoirs du président de la République et qui limite, par un article non modifiable, à deux le nombre possible de ses mandats.

A la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, à la France, aux États-Unis, à l’Union européenne et à Taïwan :

8. Fournir immédiatement une aide financière adéquate pour soutenir le processus électoral, notamment la révision du fichier électoral.

Pour faire de l’armée burkinabè une armée véritablement républicaine

Aux autorités de transition burkinabè :

9. Dissoudre le Régiment de sécurité présidentielle en concertation avec une majorité de ses membres, en leur garantissant un maintien de leur rémunération, de leur droit à la retraite et de leur garantie de carrière.

10. Terminer la rédaction du livre blanc sur la défense nationale afin de mieux définir les enjeux de sécurité et de défense pour le Burkina Faso et ce pour les dix années à venir.

A la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, à la France, aux États-Unis, à l’Union européenne et à Taïwan :

11. Maintenir le dialogue avec l’armée et les militaires au pouvoir pour s’assurer que ceux-ci retourneront effectivement dans les casernes à l’issue de la transition.

Dakar/Bruxelles, 28 janvier 2015

Legitimate governance
Re-founding the living together and the State
To build Peace and Security
Promoting the Territories and Development

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