Colloque de Polokwane: les constitutions en Afrique Australe

Commentaires comparatifs avec l’Afrique de l’ouest

La deuxième session du Colloque de Polokwane était consacrée au constitutionnalisme en Afrique Australe. La présentation de deux communications par des acteurs de la région a été suivie d’un commentaire comparatif avec la région de l’Afrique de l’ouest assurée par l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique. Le présent document montre comment les processus initiés en Afrique de l’Ouest à partir des années 90 connaissent une période de reflux, de remise en cause voire de recul malgré une relative stabilité dans certains pays. Il insiste notamment sur les leçons sud-africaines en matière de valeurs constitutionnalisées, de contrôle juridictionnel, de révision.

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Commentaires relatifs à la session sur les constitutions

Les communications de M. Hoffman et du Pr Mangu sont très instructives lorsqu’on les rapporte à la situation qui prévaut en Afrique de l’Ouest. Quelques enseignements majeurs peuvent en être tirés.

En premier lieu, sous l’angle des valeurs c’est-à-dire d’un point de vue axiologique, l’exemple sud africain nous montre que la constitution est certes un instrument d’agencement du pouvoir mais elle n’est pas que cela ; elle est aussi un ordre de valeurs qui traduit les aspirations fondamentales d’une société. En ce sens, la proclamation des valeurs d’une nation constitue un des points de rencontre entre la constitution et l’exigence de légitimité dans la mesure où la société doit se reconnaître dans les principes et règles fondamentales qui l’ordonnent et en tracent les orientations, morales si l’on peut dire. Peu importe que ces valeurs soient propres, spécifiques à une société donnée ou partagées avec le reste du monde c’est-à-dire universelles. La remarque du Pr Mangu, selon laquelle les valeurs exprimées dans les constitutions ne sont pas propres à l’Occident, nous semble juste en ce que ces valeurs existent et sont traduites d’une manière ou d’une autre dans les constitutions africaines.

En deuxième lieu, que la constitution soit un instrument de légitimation du pouvoir ne semble pas devoir faire l’objet d’une quelconque objection. La constitution sud africaine montre bien qu’elle légitime le pouvoir politique issu du suffrage des citoyens mais aussi le pouvoir traditionnel voire religieux auquel elle reconnaît un statut, à l’instar de certaines constitutions ouest africaines comme celle du Ghana ou, plus timidement, celle du Togo. Cependant il faut bien admettre que les rapports entre la constitution et les légitimités non électorales sont très complexes lorsque la question de la source de la légitimité est posée. Au fond, et d’une part, est-on certain que la reconnaissance constitutionnelle d’un statut au profit des pouvoirs traditionnels est la source de la légitimité de ces derniers ? Ne doit-on pas plutôt considérer que cette reconnaissance n’est que la formalisation d’une légitimité qui trouve sa source réelle dans l’ancrage social et psychologique voire mythique de ces pouvoirs ? D’autre part, il faut bien remarquer que même dans des pays qui n’ont pas organisé un statut constitutionnel pour les légitimités non élues comme les autorités coutumières et religieuses, ces dernières ont acquis, de fait, une parcelle de pouvoir que leur confère non pas les normes officielles mais plutôt la reconnaissance sociale dont elles bénéficient et qui est parfois le fait de l’autorité politique elle-même qui tente de conforter sa légitimité issue de l’élection par une forme de légitimation sociale dépassant le moment de l’élection et se prolongeant pendant l’exercice du mandat. Ce qui démontre au moins partiellement que la légitimité électorale, politique, n’est pas en soi suffisante. L’exemple du Sénégal le démontre amplement avec l’intervention d’autorités religieuses, parfois voire souvent à la demande des acteurs politiques, dans la résolution de contentieux politiques (dont deux exemples récents : conflit entre le Président de la République et le président de l’assemblée nationale au sujet d’une convocation du fils du Président de la République par l’Assemblée Nationale en vue de son audition sur la gestion d’une agence de l’Etat ; un autre conflit entre le Président de la République et son premier ministre avait vu l’intervention active d’autorités religieuses qui ont appuyé des tractations politiques entre les deux hommes à la veille de l’élection présidentielle de février 2007) ; il faut donc en conclure que la légitimité (légale ?) résulte des élections mais qu’il existe une légitimité non formelle qui n’est traduite dans aucune norme du droit positif.

En troisième lieu, du point de vue des processus d’élaboration et de révision des constitutions, la situation de l’Afrique de l’Ouest est paradoxale. Les années 90 ont été fortement marquées par l’élaboration consensuelle (mais peut-être forcée au regard des contextes sociaux nationaux et des rapports de force politiques du moment) de constitutions à travers des conférences nationales dont la principale caractéristique était leur volonté d’inclusion de tous les acteurs sociaux et politiques. Le paradoxe réside dans le fait que depuis le début des années 2000, la plupart des consensus bâtis par les conférences nationales sont en train de voler en éclat du fait d’un révisionnisme constitutionnel acharné (Au Sénégal par exemple, la constitution du 22 janvier 2001 a fait l’objet de douze révisions en 7 ans, même si elle n’est pas le fruit d’une conférence nationale). Trois remarques peuvent être faites sur ces révisions. D’une part elles sont unilatérales et non consensuelles car initiées et décidées par un seul camp politique, celui du Chef de l’Etat, et réalisées à travers un vote parlementaire et non par référendum. D’autre part, la plupart (pas toutes) de ces révisions ne concernent que des questions éminemment politiques notamment l’ordonnancement institutionnel, surtout le statut du Chef de l’Etat et particulièrement la question de la limitation des mandats, question qui faisait l’objet de très forts consensus au moment des conférences nationales; il s’agit souvent de faire sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats afin de s’assurer la conservation du pouvoir. Enfin les révisions se révèlent souvent conjoncturelles car il s’agit de répondre à un contexte politique déterminé dont l’issue est orientée par une instrumentalisation du texte constitutionnel. Il résulte de ces orientations révisionnistes que ce qui devait être un instrument de limitation du pouvoir montre une quasi incapacité à remplir cet office. On ne peut par conséquent qu’être frappé par l’observation de la stabilité des normes constitutionnelles en Afrique Australe et plus particulièrement en Afrique du Sud dont la dernière constitution n’a fait l’objet d’aucune modification depuis son adoption en 1996.

En quatrième lieu, du point de vue de la justice constitutionnelle, trois observations peuvent être faites à partir de la communication de M. Hoffman. La première, c’est l’étendue des actes justiciables du contrôle de constitutionnalité en Afrique du Sud. M. Hoffman nous a par exemple dit que tout acte en relève à partir du moment où il est soupçonné de contrariété avec la norme fondamentale. Les pays de l’Afrique de l’Ouest, qui ont en majeure partie repris la tradition française, limitent le contrôle aux seules lois votées par le parlement (et accessoirement aux traités internationaux). Il est étonnant pour un juriste francophone de voir discutée la conformité avec la constitution d’un document portant sur la stratégie d’un parti politique et donc d’une association privée.

La deuxième observation est relative à la place dévolue au juge constitutionnel et au respect qui lui est voué. Cette importance est certainement due en partie, mais seulement en partie, à la stabilité du texte fondamental, stabilité qui donne une importance accrue au rôle d’interprétation et donc d’adaptation de la norme constitutionnelle aux évolutions de la société. La soumission naturelle du pouvoir politique aux décisions de la cour constitutionnelle ne va pas de soi mais elle augmente le crédit de cette dernière. L’Afrique de l’ouest offre quelques malheureux exemples de fragilisation du juge constitutionnel par une contestation de ses décisions par le détenteur du pouvoir exécutif en dépit du principe de séparation des pouvoirs. Le Sénégal a connu une situation de ce type à l’occasion d’élections législatives. Pendant la campagne électorale, le parti au pouvoir a voulu apposer la photo du Président de la République sur ses affiches, ce que le conseil constitutionnel, en tant que juge du contentieux électoral, avait interdit sur saisine de partis d’opposition. Sa décision fut publiquement critiquée par le Président de la République au nom de sa qualité de « Gardien de la constitution » et, par un artifice tout aussi contraire à la loi, le parti en question conserva non pas la photo mais l’ombre du Président sur ses affiches. Que le contentieux ne portât pas sur la violation de la norme constitutionnelle elle-même n’empêche pas d’imaginer les conséquences d’une telle attitude sur la crédibilité et le respect dû au juge constitutionnel.

La troisième observation concernant le juge constitutionnel est relative à la nature du contentieux qui lui est le plus souvent soumis. La situation en Afrique Australe est similaire de ce point de vue avec celle de l’Afrique de l’Ouest ; le contentieux est essentiellement politique, touchant presque toujours aux questions de pouvoir et presque jamais aux droits économiques et sociaux que la constitution reconnaît aux citoyens. Il faut dire à cet égard que la faible propension de ces derniers à saisir le juge, même dans les pays où ce droit leur est accordé, n’est pas de nature à favoriser l’essor du constitutionnalisme.

En cinquième et dernier lieu, le Pr Mangu révèle, indirectement certes, une sorte de glissement, ou tout au moins de diversification, des sources des normes constitutionnelles. La référence aux textes de l’Union Africaine et du NEPAD démontre que la légitimation de la forme d’exercice du pouvoir n’est pas exclusivement enfermée dans des normes internes. Un déplacement s’opère vers des normes communautaires très proches des normes constitutionnelles nationales. L’Afrique de l’Ouest connaît déjà un tel phénomène. Pour ne citer qu’un seul exemple, les Etats membres de la CEDEAO ont adopté un protocole qui pose des règles de gouvernance assurant une convergence constitutionnelle minimale sur certaines questions essentielles comme les questions électorales.

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