La gouvernance un concept et une pratique africaine

Beaucoup d’éléments de la recherche historique permettent d’affirmer que nombre de formations sociales et politiques en Afrique avaient atteint le niveau de l’Etat, du gouvernement de Droit, c’est-à-dire réglé, ordonné par une norme acceptée, légitimant le pouvoir de certains et consacrant leur autorité à condition qu’ eux-mêmes se soumettent à cette norme supérieure. Les débats actuels sur la gouvernance ne sont pas nouveaux en Afrique.

Ainsi la question de la gouvernance a été une préoccupation de l’Egypte Pharaonique qui a innervé l’Europe, le Moyen et Proche Orient et toute l’Afrique de son savoir , de sa culture, de son mode d’organisation socio-politique, de sa philosophie etc. ce qui explique une certaine unicité très sensible en Afrique Subsaharienne.

Dans beaucoup de pays africains, même si pour être roi il faut être d’une lignée royale, cette condition n’est pas suffisante pour accéder au trône. Il faut se faire accepter par l’assemblée où siégent les représentants des catégories socioprofessionnelles et des esclaves, des différentes familles, les entités locales etc. Au Sénégal, ce sont les PENC Lebou ( assemblée) de Dakar, l’Assemblée des Grands Electeurs du Saloum ou le Batou Foutankoobe ( assemblée des Habitants du Fouta ) de la Vallée du Fleuve Sénégal. Elles agissent par élection. L’élu prend un engagement solennel à l’égard des représentants du peuple par un véritable contrat.

Son pouvoir est tempéré par les assemblées car "l’Esprit est trop grand pour une seule tête " " le pouvoir est comme un oeuf; il est trop fragile pour être tenu d’une seule main."

Ces considérations montrent une certaine limitation du pouvoir assortie d’un partage. Une gouvernance illimitée ne peut pas être une bonne gouvernance. C’est ainsi qu’il faut comprendre le régicide légal , une sorte de motion de censure, entraînant dans certaines contrées le "suicide" du souverain. Il exprime bien le concept de responsabilité et l’idée que le vrai souverain était en réalité le Droit de la collectivité.

Un autre grand outil de limitation du pouvoir, c’est la liberté d’expression. Celle-ci est loin d’avoir été toujours assurée. C’est ainsi que sous le Roi du Sosso (du Mali) Soumaoro Kante, redoutable roi réfractaire à l’Islam, au XIIIème siècle, la terreur qu’il inspirait était telle que lorsqu’on voulait le critiquer, l’on cherchait une grande gourde et l’on y introduisait la bouche pour y exprimer et y enfermer à la fois son opinion.

En effet, l’organisation de la parole publique bien que privilégiant certaines catégories (anciens, hommes, clans princiers etc.) ménageait à la plupart des groupes un espace de contribution. Certaine catégories de griots et les thiolos (en milieu pulaar)avaient le privilège d’être impudique, dire ce que personne n’a le droit de dire. Ce sont les véritables fous du roi qui permettent à ce dernier d’avoir une idée de l’état de l’opinion publique. C’est un associationnisme africain qui préfére impliquer tous les groupes s’exprimant comme tels plutôt que de risquer l’éruption de forces centrifuges qui eussent été alors difficiles à contenir.

Au plan politico-administratif, il y a une répartition des niveaux de gouvernance. Certaines entités politiques pré-coloniales d’Afrique ( GHANA, MALI, SONGHAI, ASHANTI etc. ) ont mis en place des formes plus ou moins décentralisées allant de l’autonomie des structures locales (provinces, royaumes, villages...), à la Fédération Lébou au Sénégal ou la confédération ASHANTI du Ghana actuel. Dans tous ces royaumes ou empires, les pays vassaux donc vaincus, paient un tribut ne sont pas intégrés. Ils conservent une certaine autonomie. Cette option décentralisée participe, pour ces entités pluriethniques, des mécanismes de prévention et de régulation des crises par le respect de l’autre même s’il est un vaincu. Les différentes communautés ( ethnies) appelées à vivre ensemble dans ces espaces mettront elles aussi en place des méthodes pouvant favoriser leur cohabitation en recourant par exemple aux correspondance ethno-patronymique. Ce système fait qu’ en Afrique de l’Ouest des populations

haoussa, dogon, ouolof, baoulé, toma, guerzé, kissi, etc. peuvent, à la faveur d’un déplacement loin du pays d’origine, prendre des patronymes dans leur milieu d’accueil. Exemple, le nom Diop du Sénégal devient Traoré au Mali et inversement. Le cousinage à plaisanterie mythique ( au Sénégal entre les Séréres et les toucouleurs, Joola-Séréres) qui autorise les moqueries les plus sarcastiques, tout se termine par de franches rigolades. Cette pratique, s’accompagne de l’interdit absolu de verser le sang de son cousin, donc la guerre n’a pas la place dans ces rapports. Ces rapports entre différentes ethnies constituent un véritable "capital social" qui a toujours joué un rôle déterminant dans le dialogue entre les communautés, particulièrement dans les situations conflictuelles et ont renforcé la volonté de vire ensemble dans la diversité.

La colonisation est venue comme une rupture dans la gouvernance.

L’indépendance, au lieu d’être une occasion pour les Africains d’associer les apports positifs de l’extérieur et ce qu’il y avait de meilleur dans le patrimoine africain de la gouvernance, a été souvent le point de départ d’une ruée vers le pouvoir brut en amalgamant le pire de l’Afrique au pire de l’extérieur. Les fonctions de l’Etat dont l’Afrique a hérité, c’est souvent un état jacobin centralisateur dans lequel sont intégrés des éléments de la culture africaine favorables à la personnalisation et à la concentration du pouvoir. On a privilégié l’emballage du système, non l’esprit qui justifie l’institution: la soumission à la mère des lois qu’est la Constitution, la permanence, l’impersonnalité de l’Etat, sa distance et sa neutralité minimale à l’égard des citoyens ou des partis considérés comme égaux, le respect de la séparation des pouvoirs. En Afrique l’exécutif accapare souvent tout l’espace et s’identifie à l’Etat au détriment du législatif et du Judiciaire.

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