De drôles machinations de spéculations du domaine national à Porokhane

Et des permis d’occuper se vendent à la sauvette !

C’est aujourd’hui lundi de Pentecôte, jour férié. Pourtant, c’est le jour choisi par le « Penc» (cadre de concertation) de Porokhane pour la tenue de sa réunion de routine. Pour soumettre à l’ensemble des acteurs ruraux venus massivement répondre à l’appel le plan trimestriel d’action. Dans l’optique d’une analyse critique, selon une approche participative en vue de sa validation. Pour eux, face aux défis de développement à relever, point de répit. Convient- il de rappeler que Porokhane, situé à 7 km de Nioro, est une cité historico-religieuse et le chef-lieu d’une communauté rurale qui porte le même nom chargé de symbole pour les Mourides ? Membre de l’équipe déléguée par Symbiose et de l’ARGA, je suis surpris de découvrir tout ce beau monde bravant la forte canicule humide pré hivernale. Je voudrais vous faire sentir la chaleur et la ferveur de l’assistance ayant déjà occupé tous les sièges réservés à cet effet dans cette imposante salle de conférence de la maison communautaire. Aussitôt arrivés, nous sommes installés par le nouveau Président du Conseil Rural (PCR) et le président du Penc. En principe, c’est à ce dernier que revenait la charge de conduire la séance. Mais, il en donne exceptionnellement la primeur au PCR, nouvellement installé à la suite des dernières consultations locales du 22 mars 2009. Il se susurre et se lit sur les visages que, sous la responsabilité de la nouvelle équipe du Conseil rural, c’est désormais l’ère des ruptures d’avec les méthodes et les pratiques passées de mal gouvernance locale. Je ne demandais pas mieux : une aubaine pour recueillir et collecter quelques expériences à la dimension des préoccupations de l’ARGA.

C’est ainsi qu’après la validation du plan d’action du « Penc », c’est le tour des questions relatives à l’Alliance. Comme certains ne disposaient pas encore des informations à ce sujet, je me suis évertué à décliner les objectifs et le but de l’ARGA. Par la méthode active, en partant d’expériences déjà relatées par d’autres acteurs présents dans la salle. Et de préciser qu’à l’étape actuelle de notre collecte, les thèmes et problèmes devaient être axés sur le Foncier et sur la Santé. Pour faciliter le travail, après échanges et partage sur la philosophie et l’exposé des motifs, un ensemble de thèmes et problématiques dressés sous forme de menu à la carte est proposé à l’assistance. Des volontaires se sont saisi de certaines questions et ont accordé des interviews. Le paradoxe des paradoxes, personne n’a eu le courage d’aborder publiquement la question du bradage du foncier rural. Mais, j’ai eu comme l’intuition de recevoir plusieurs appels du pied sur la question.

Une pause est ordonnée pour le repas et éventuellement pour la prière de 14 heures. C’est l’occasion rêvée de m’approcher de certains acteurs désireux de sortir des informations insoupçonnées. Grand a été mon étonnement de savoir que maints participants gardaient par devers eux des permis d’occuper vierges déjà signés et par des chefs de village et par certains conseillers apparemment débarqués et ne faisant plus partie de l’actuel Conseil rural. En fait, des courtiers du foncier.

Il est important de préciser que de tels documents ne portaient pas le sceau du PCR.

Etait-il au courant ? C’est un exercice auquel je n’ai pas jugé utile de me livrer. Au demeurant, l’existence de ces documents est suffisamment révélateur. Curieusement, ces mêmes acteurs semblaient, lors des débats, être convaincus de la nécessité de lutter contre les spéculations foncières, notamment le terroir communautaire qui ne peut faire l’objet de cession ni de vente. Et sous la barbe des conseillers ruraux seuls habilités à les affecter conformément à la loi. De surcroît, qui un enseignant, qui un paysan- sous le couvert de l’anonymat- m’apprennent que ces documents sont même proposés, à la sauvette, à des clients potentiels lors des loumas (marchés hebdomadaires) de vendredi. Car, c’est là une opportunité pour des citadins de s’offrir soit un lopin de terrain périphérique à usage d’habitation, soit quelques hectares pour les cultures. Ces terrains une fois « vendus » seront tour à tour « revendus » au plus offrant. Et dans cet éternel recommencement, les litiges et les propositions d’autres terrains en guise d’échange…au grand dam des acteurs légitimes autochtones et ce, dans un contexte de raréfaction de terres arables. Coïncidence ou acte prémonitoire : la veille de cette mission, je réfléchissais sur le constat selon lequel le grand obstacle au changement est la tentation de reproduction par les forces ayant nouvellement accédé au pouvoir (local) les éléments et les pratiques de l’idéologie du pouvoir hégémonique défait. Un pas que la nouvelle équipe du Conseil Rural et les membres du « Penc » sont prêts à refuser de franchir ?

Commentaires

Les agissements relatés dans cette expérience constituent encore une forme d’illustration de la spéculation foncière qui gangrène les collectivités locales. Dans un passé récent, ces pratiques étaient simplement perceptibles en milieu urbain. A présent, c’est comme si la décentralisation était le créneau rêvé des spéculateurs. Et les collectivités locales -semi urbaines et rurales- n’en sont plus épargnées. Loin s’en faut.

S’il s’agissait des titres fonciers ou terres immatriculées qui, du reste, sont rares à Porokhane, il n’y aurait rien à redire. Mais, les permis d’occuper en question concernent ici les terroirs du domaine national, ces terres étant la propriété collective de la nation sont détenues par l’Etat en vue d’ « assurer leur utilisation et leur mise en valeur rationnelle, conformément aux plans de développement et aux programmes d’aménagement ». En tout état de cause, de tels documents s’avèrent nuls et de nuls effets juridiques et même compromettants. Il nous est hélas revenu que, sous la protection de certains clans et lobbies maraboutiques locaux, les « vendeurs » par le biais de la redistribution au cours des cérémonies religieuses restent intouchables. Ainsi, on assiste à une sorte de complicité étatique tendant à une privatisation du patrimoine et des ressources nationales au profit de quelques spéculateurs et leurs suppôts.

De telles évolutions fâcheuses finiront, si l’on n’y prend garde, par entamer dangereusement la légitimité de l’Etat et aussi jeter le discrédit sur les réformes liées à la politique de décentralisation.

C’est pourquoi, il convient de mettre en place des services du cadastre en milieu rural et des services ruraux des domaines. Lesquels services techniques devraient être à la disposition des conseils ruraux pour les éventuelles délibérations d’affectation et d’occupation des sols. En créant les conditions d’une stricte application des dispositions légales par ceux qui ont en charge la gestion et l’administration de chaque type de terre.

Notes

Mourides : Confrérie soufiste islamo sénégalaise fondée par Ahmadou BAMBA, dont la vénérée mère repose justement à Porokhane (lieu de pèlerinage).

ARGA : sigle signifiant « Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique »

« Penc » : vocable wolof rappelant l’arbre à palabres, cadre de concertation de ruraux à l’échelle de la communauté rurale, ce Penc regroupe 61 villages.

Conseil Rural : organe délibérant de la communauté rurale composé de 46 conseillers, élus lors d’élections locales

PCR. : Président de la communauté rurale (CR).

Loumas : marchés hebdomadaires qui drainent les opérateurs économiques et les populations de partout.

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