By Falilou Mbacké Cissé (Senegal)
La prise de conscience et la volonté d’asseoir une action publique efficace, et de responsabiliser au premier chef les collectivités locales sont autant d’atouts pour la délivrance de services de qualité à l’ensemble des populations africaines. Pourtant, aujourd’hui encore, le défi à relever par tous est, sans aucun doute, celui de répondre effectivement et avec efficacité aux besoins matériels et immatériels de ces populations.
En effet, malgré l’engagement de toutes les catégories d’acteurs, et les multiples initiatives à toutes les échelles territoriales, la délivrance des services publics essentiels apparait encore comme peu satisfaisante dans une Afrique qui détient toujours le triste record de pauvreté au monde. Il est commun de soutenir à ce sujet des arguments liés aux capacités institutionnelles et aux errements administratifs, mais fondamentalement, c’est le lien entre gouvernance et service public qui est en cause.
Dans les tentatives actuelles de renforcement et d’amélioration des services aux populations, des questions essentielles sont évitées, ou leur intérêt faiblement perçu. Par exemple, n’est-il pas venu le temps de douter de cette « vérité absolue » qui voudrait qu’une bonne politique de décentralisation s’accompagne nécessairement d’une bonne politique de déconcentration ? Ne faut-il pas remettre en cause l’approche de répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales, surtout dans son caractère descendant et uniforme ? Ne serait-il pas intéressant de revoir les cadres et mécanismes de négociation entre l’Etat, les collectivités locales, les populations et les partenaires au développement de sorte à intégrer les vraies réalités et préoccupations territoriales dans la délivrance de services publics de base ?
Somme toute, il urge de renouveler la pensée et l’approche du service public, d’une part en réfléchissant le service public dans la problématique de la gouvernance en Afrique, et d’autre part en intégrant la gouvernance dans la marche du service public lui-même.
Telle est, à travers ce Cahier de propositions, la contribution que l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique se propose d’apporter au débat sur la délivrance de services publics de base.
En Afrique, cinquante ans après les indépendances, le constat global qui s’impose est que la fourniture de services publics a fatalement suivi la courbe de décrépitude de l’Etat post-colonial. Avec une conception patrimoniale du pouvoir, la perpétuation d’une administration coloniale, le manque de vision et de projet commun, les mauvais choix de priorité dans les dépenses publiques, le clientélisme, la corruption et le favoritisme ethnico-clanique, ou encore la faible valorisation des compétences et des ressources en tous genres, la fourniture de services publics est aujourd’hui caractérisée par des insuffisances chroniques et des déséquilibres sociaux et territoriaux sans cesse grandissants.
Or, si le défi majeur du développement est le bien-être des populations, l’une des réponses à ce défi consistera dans la capacité des pouvoirs publics à offrir aux populations des services publics de base, en quantité et en qualité satisfaisantes.
De toute évidence, le lien dialectique entre « Etat », « société » et « services publics » établit que sur le Continent noir, la crise de l’Etat post-colonial, et subséquemment la crise multipolaire qui frappe les sociétés africaines n’ont pas manqué d’affecter considérablement le service public. L’inefficacité et l’inadéquation des modes actuels de régulation de l’offre de services publics de base constituent un grave sujet de l’heure.
Fondamentalement, la crise de la gouvernance – qui est au cœur du sous-développement en Afrique – est un facteur déterminant de la crise du service public. Dès lors, il est illusoire de penser que les changements attendus dans la délivrance de services aux populations se produiront simplement par le fait d’experts, la révision des organigrammes et des procédures, ou le relookage de l’administration. Plus que cela, ces changements interpellent, entre autres, sur le sens et la finalité de l’action publique, sur l’intelligibilité et l’appropriation collective du service public, sur les différents acteurs et leur rôle respectif, sur les interdépendances à assumer et les articulations à bâtir. En somme, ces changements attendus commandent de s’intéresser à la gouvernance.
Les difficultés du service public sont étroitement liées à celles de l’Etat. Elles ont en commun de procéder d’une crise de gouvernance. En somme, pour se donner les chances de répondre effectivement aux besoins et aspirations des populations africaines, il convient aujourd’hui de réfléchir le service public par de nouvelles approches fondées sur la gouvernance. Dans le même temps, la fourniture de services publics devrait intégrer un certain nombre de principes de gouvernance pour améliorer l’efficacité de l’action publique, et produire in fine des services et des richesses profitables à tous.
Il convient de redéfinir de nouvelles approches pour tenter de répondre à la crise du service public, en mettant en avant les questions de gouvernance. L’Alliance pose comme postulat de base que l’amélioration de la délivrance de services publics résultera, non pas de propositions nouvelles dans le cadre d’une logique conceptuelle et opérationnelle classique, mais bien du renouvellement de la manière de penser et d’aborder la gouvernance des services publics de base en Afrique.
Cette entreprise de connexion du service public et de la gouvernance - comprise ici comme l’ensemble des processus mis en œuvre pour gérer les interfaces entres les acteurs, les territoires, les ressources, dans leurs dimensions à la fois politique, économique, sociale et environnementale - s’ouvre alors sur le défi de repenser les services publics de base dans la perspective de promouvoir l’intégration ainsi qu’un fort sentiment d’appartenance et de confiance des populations envers l’État. Dans cette perspective, un certain nombre de questions se posent, notamment :
• comment assurer un accès équitable à service public de qualité à l’ensemble des populations dans un contexte où les Institutions publiques sont inadéquates, et sont génératrices de crise sociale et politique?
• comment articuler les territoires, et surtout les différentes échelles de gouvernance dans un contexte où les processus de décentralisation poussent plutôt à l’émiettement du territoire et à l’émergence de plusieurs catégories d’acteurs ?
• quels acteurs et quels types de partenariat sont-ils susceptibles de renforcer l’effectivité et d’améliorer l’efficacité de la délivrance des services publics de base ?
• comment institutionnaliser des mécanismes et des processus sociaux dans la délivrance de services publics de base ?
• comment répondre à une demande sociale de plus en plus complexe et exigeante dans des pays sous-développés, confronté à la rareté des ressources de tous ordres ?
• comment se déclinent les rôles et responsabilités des différents acteurs aux plans économique, social, politique et environnemental ?
En fait, et au-delà des thèses plus ou moins réductrices qui lie le service public à la seule lutte contre la pauvreté, l’Alliance inscrit la question de la délivrance de service public dans une perspective plus large qui est celle de la refondation de la gouvernance. Par la réponse effective et efficace aux préoccupations des populations qu’il permet, le service public est perçu en soi comme une stratégie de renouvellement des règles de gestion de l’espace public national et des liens entre acteurs, et au bout du compte comme une méthode de revitalisation de l’Etat africain post-colonial.
Cette vision repose sur une certaine conception de la gouvernance, précisément sur la gouvernance légitime que prône l’Alliance, et qui se définit comme l’art de gérer les affaires publiques et d’exercer les pouvoirs au service du BIEN COMMUN avec l’adhésion et sous le contrôle de ceux sur qui s’exercent ces pouvoirs. Dès lors, l’Afrique doit collectivement concevoir et mettre en place une gouvernance dans laquelle les différents acteurs se reconnaissent, et qui répond à leurs aspirations. A côté donc de la connaissance et de la reconnaissance des règles et des institutions par les populations africaines, la légitimité de la gouvernance renvoie fondamentalement à la capacité de l’Etat à répondre aux aspirations matérielles et immatérielles des citoyens. Dans cette acception, la délivrance de services publics de base, effectifs et efficaces, est une condition de légitimité des Etats en ce qu’elle institue, et donne du sens aux relations entre les pouvoirs publics et les citoyens.
Cette approche du service public est ensuite étroitement liée à l’entreprise de refondation de l’Etat africain post-colonial. En effet, la crise de l’Etat, et la nécessité de le refonder sont manifestes au regard de la faible efficacité de ses interventions au service de la société. Or, la légitimité de tout acteur public – de l’Etat, en premier – trouve sa source première dans l’adéquation entre l’action publique et les attentes des citoyens. Historiquement, l’incapacité à instituer et à fourniture des services publics satisfaisants est alors un facteur déterminant de la perte de légitimité de l’Etat africain post-colonial ; facteur sur lequel il faut agir prestement. Dans ce sens, le développement des services publics est une condition sine qua non à l’établissement ou à la restauration de la confiance envers les institutions, et plus particulièrement entre l’Etat et les populations.
La condition première de l’efficacité de l’action publique est que les objectifs poursuivis soient conformes aux attentes de la population, et aux réalités du pays. Ce n’est pas la moindre des difficultés. Comment y parvenir ?
1. Sortir le service public du labyrinthe institutionnel et territorial caractéristique de l’organisation administrative de l’Etat
1.1 Fonder le cadre juridique de délivrance du service public sur un projet collectif
Dans le contexte actuel de décentralisation, la délivrance de services publics de base reste largement orientée par la légalité formelle et les errements administratifs. Or, l’accord des différents acteurs sur une vision, des valeurs et des principes partagés est fondamental.
En effet, si le cadre juridique est un élément de régulation de la délivrance du service public de base, il doit tout au moins reposer sur un projet collectif dont le socle est nécessairement coproduit entre tous les acteurs, et les règles connues et reconnues par chacun. Il n’y a pas de doute que fonder le service public sur cet impératif de gouvernance est non seulement un gage de volonté et de clairvoyance politiques, mais c’est aussi le moyen le plus sûr de réaliser les objectifs poursuivis.
Ce travail sur les règles d’organisation et de délivrance du service ne se décrète pas. Il se réalise dans la vision d’une gouvernance légitime, et selon une approche processuelle qui instaure la concertation et la négociation entre les divers dépositaires du service public, mais aussi avec les différents bénéficiaires de celui-ci.
1.2 Rationaliser le cadre normatif de délivrance de services publics de base
Il ne fait pas de doute que la rationalisation de l’environnement normatif – à travers sa simplification et sa cohérence – est un facteur déterminant pour réussir les missions de service public. Outre qu’elle permet l’efficacité, elle renforce l’État de droit en donnant des repères clairs aux pouvoirs publics pour agir, et aux citoyens pour exercer et défendre leurs droits.
Le « mille feuilles » administratif et la profusion d’acteurs appellent certainement des mesures de correction idoines pour améliorer la délivrance de services publics de base à l’ensemble des populations africaines. Confrontés à cette réflexion, les Etats – et même les experts en général – privilégient malheureusement un travail assez superficiel. Très souvent, les mesures consistent dans le toilettage des textes, et dans leur codification sur un support unique. Certainement, il faut aller bien plus loin.
Au-delà donc, cette rationalisation – par le dialogue et la cohabitation harmonieuse entre les règles institutionnelles et sociales – inclut l’indispensable synergie entre différents modes de délivrance de biens et de services publics tous aussi légitimes. Dans un contexte où l’accès universel aux services publics est hypothétique tant au plan physique, financier que culturel, cet effort de rationalisation serait certainement porteuse de plus-values dont l’une des moindres consisterait à garantir effectivement la pertinence et la généralisation de l’offre de services publics.
1.3 Réinterroger la pertinence du couple « décentralisation /déconcentration »
La déconcentration et la décentralisation devraient être reliées davantage dans le cadre d’une approche systémique – et non systématique – dans une perspective de refondation de l’Etat en Afrique.
D’abord parce que l’impératif de renouvellement de la gouvernance en Afrique devrait aboutir nécessairement à la refondation d’un Etat obligé de réorganiser sa souveraineté aussi bien à l’intérieur – par la décentralisation – qu’à l’extérieur de ses frontières – par l’intégration régionale. C’est en somme toute la problématique de l’articulation des échelles régionale, locale et nationale. Cette exigence commandait que l’on pensât la déconcentration en rapport avec la réforme de l’Etat, et non comme un simple pilier de la décentralisation. Elle dût alors permettre à l’Etat de s’adapter et d’être plus efficace dans ses missions régaliennes, et aussi dans son concours au développement territorial.
Ensuite, l’Etat doit, au même titre que les collectivités locales, s’organiser pour fournir les services publics que les citoyens sont en droit d’attendre de lui. En effet, dans cette perspective, la formule de la déconcentration est essentielle en tant qu’elle permet le réaménagement interne du pouvoir de décision de l’Etat qui se rapproche ainsi des besoins des populations.
Enfin, c’est le principe même d’une déconcentration systématique qu’il urge de questionner. En effet, le glissement du schéma actuel vers la « déconcentralisation » est certainement une manifestation de l’essoufflement du couple déconcentration / décentralisation, à l’avantage de la décentralisation puisque l’Etat confierait des « missions déconcentrées » aux collectivités locales.
1.4 Consacrer le Territoire comme la matrice de délivrance de services publics de base
Le territoire est un Acteur d’importance de l’offre de services. Cette dimension territoriale du service public est certainement liée à la problématique de la territorialisation des politiques publiques. Mais bien plus qu’un dialogue entre les dynamiques territoriales et les politiques sectorielles, elle doit introduire un changement de perspective dans la conception et dans l’approche de la délivrance de services publics de base.
Dans un contexte d’émiettement spatial et de dispersion démographique, de profusion d’acteurs, de raréfaction des ressources, et face à une demande sociale grandissante, l’on peut soutenir que c’est simplement une orientation de bon sens que de fonder et de structurer l’offre de services publics de base sur le territoire.
Au-delà, cette approche territoriale du service public se justifie par le fait que l’addition de bonnes initiatives ne suffit pas si elles ne sont pas intégrées dans un plan d’ensemble cohérent. Pour répondre aux aspirations de l’ensemble des populations, il est donc nécessaire de développer de véritables projets de territoires, capables d’articuler les visions, les moyens et les actions de coopération des acteurs aux différentes échelles – internationale, régionale, nationale, locale.
La mise en œuvre d’un projet de territoire, fondé sur la notion d’intérêt partagé et l’implication active de tous les acteurs, permettrait d’aller au-delà des lignes de partage qui souvent apparaissent comme des « frontières ». Et l’appropriation collective du territoire par les habitants se construirait alors de manière dynamique, au fur et à mesure que celui-ci leur apparaît par les actions qui y sont menées.
Tout le défi est donc celui du changement conceptuel pour voir dans le territoire un être social collectif, qui dépasse et inclut les Institutions formelles, notamment les collectivités locales et les circonscriptions administratives.
2. Organiser un partage concerté des compétences entre l’Etat et les collectivités locales pour des services publics adaptés et effectifs
2.1 Inverser la démarche de transfert des compétences en donnant au niveau local le droit et la possibilité de se prononcer d’abord sur les missions qu’il peut, et qu’il souhaite prendre en charge
La répartition des compétences doit s’inscrire dans un cadre global de négociation entre les différentes échelles de gouvernance, incluant tous les acteurs intéressés. Il faudrait que, sur la base de consensus, les collectivités locales puissent, dans un dialogue avec l’Etat, déterminer de façon objective ce que l’Etat doit leur céder. L’efficacité de l’action publique locale reste fortement liée à la libre détermination par le local de sa propre sphère de compétences, et de la définition par défaut de celle qui revient alors à l’Etat.
Cette nouvelle approche permettrait de moduler les compétences en fonction des spécificités et des capacités intrinsèques, notamment financières, de chaque collectivité. Ce que l’on prône, c’est d’une décentralisation à la carte, plus ciblée et moins abstraite qui permettrait de mettre en cohérence les objectifs, les responsabilités et les moyens des collectivités locales. Cela impliquerait de diversifier les instruments normatifs de la décentralisation par un recours à une contractualisation des rapports entre l’État et les collectivités territoriales. Un tel instrument normatif aurait l’avantage de la souplesse mais aussi de l’adaptabilité aux évolutions des collectivités et de la promotion de la négociation.
2.2 Reposer la légitimité du mode transfert des compétences sur une large implication de tous les acteurs locaux
Le transfert de compétences ne saurait être seulement l’œuvre unilatérale de l’Etat ou des seules collectivités locales. Si l’on tient compte des exigences du développement endogène et de la démocratie locale participative, la répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux doit faire l’objet d’un débat véritable entre tous les acteurs de la décentralisation : l’Etat, les collectivités locales, le secteur privé, les organisations socioprofessionnelles, la société civile etc.
Dès lors, les compétences locales doivent probablement être pensées dans la perspective de mobiliser les savoir-faire locaux et d’intéresser l’ensemble des populations à la gestion des affaires publiques locales. Cela passe certainement par la possibilité pour les populations en général de s’impliquer, à travers leurs associations et par le biais de micro-entreprises, à la production et la fourniture de certains services comme la collecte d’ordures.
2.3 Privilégier des démarches de transfert progressif des compétences aux collectivités locales
Il faut considérer que les compétences sont nécessairement évolutives et qu’il n’en n’existe pas qui ne soient pas transférables par nature. Elles doivent simplement être en adéquation avec les buts poursuivis. Dans ce sens, elles doivent être constamment réinterrogées.
Il n’existe pas davantage une incapacité rédhibitoire des acteurs locaux à exercer certains types de compétences. Outre le fait que l’idée d’un empêchement absolu des collectivités locales contredit l’esprit des processus de décentralisation, cet argument souvent avancé par les Etats est définitivement désuet.
Des modalités comme la dévolution ou le renforcement de capacités permettent d’y faire face. Mais plus encore, le procédé du transfert progressif permet d’y répondre. En effet, loin de transférer mécaniquement les compétences aux collectivités locales les unes après les autres, la progressivité est une garantie de réalisation de leurs attributions à travers l’expérimentation, l’accompagnement, l’apprentissage et la prise en compte des réalités et des capacités de chaque territoire.
3. Passer d’une logique de compétition entre acteurs au partenariat et à la mobilisation citoyenne
3.1 Promouvoir la prise de conscience citoyenne et la mobilisation citoyenne à travers des cadres permanents de concertation
C’est probablement l’axe thématique qui a le mieux révélé l’immensité des opportunités de la décentralisation en matière de délivrance et d’accès aux services publics. Toutes les expériences ont insisté sur cette dimension et constaté que des avancées significatives ont été réalisées dans l’apprentissage de la construction des partenariats et la mobilisation des citoyens, notamment à travers l’institutionnalisation de cadres de concertation.
De ce point de vue, ces cadres de mobilisation citoyenne doivent se généraliser sur l’ensemble des territoires, et élaborer davantage sur la clarté de leurs objectifs et des finalités poursuivies, ainsi que sur les rôles et responsabilités de chaque acteur.
Cela est essentiel si l’on sait que la prise de conscience et la mobilisation des citoyens contribuent à l’amélioration de la délivrance des services publics en permettant de mieux structurer la demande et d’élever le niveau des exigences en termes de qualité et de quantité de l’offre. Ils peuvent même intervenir davantage dans l’offre de services soit par la promotion d’actions ponctuelles de bénévolat soit en se positionnant comme fournisseurs rémunérés.
La mobilisation citoyenne apparaît, par ailleurs, comme un levier de mobilisation de ressources humaines, financières et organisationnelles, et de participation citoyenne à la gestion des affaires publiques. Ainsi, la participation des citoyens et de leurs organisations aux processus de décision, les positionnent-ils en partenaires du développement et en gestionnaires des mécanismes de prestation.
3.2 Construire des partenariats multi-acteurs pour améliorer la gouvernance du service public, constituer une force collective et renforcer les capacités d’actions de chaque acteur
La construction des partenariats multi-acteurs est une question à enjeux multiples, qui, globalement contribue à améliorer la gouvernance des services publics. Ils favorisent l’institution des acteurs, la clarification des rôles et responsabilités de chacun, et donc le dialogue et le consensus au niveau local. Ils rendent possible la planification participative des actions de développement, et garantissent la cohérence des interventions et la durabilité du développement.
De tels enjeux sont donc reliés à la légitimité des modes de gouvernance des services publics. Il faut non seulement assurer l’inclusion de tous les acteurs mais aussi construire la confiance entre eux.
Par ailleurs, la construction des partenariats répond à la nécessité de capitaliser, de partager et de valoriser les expériences locales réussies, et de l’articulation de celles-ci avec les autres échelles territoriales. Á cet égard, ces partenariats peuvent permettre de constituer de véritables champs d’expérimentation des innovations en vue de leur possible valorisation et généralisation, notamment par un système de sanction positive.
En définitive, les partenariats multi-acteurs, par leur dimension analytique, contribuent à une approche collective de la fourniture de services publics de base et donc à une meilleure offre de services publics. En effet, ils permettent de dépasser la rigidité de l’approche classique de la fourniture de services publics qui offre peu d’espace de coproduction des normes de régulation des services publics. L’enjeu fondamental est alors, d’une part, de construire des espaces de concertation et de délibération collective et, d’autre part, d’élaborer des outils pertinents de partenariat.
4. Organiser un système de financement conséquent, rationnel et cohérent pour une prise en charge convenable des missions de services publics
4.1 Faire des missions fondamentales du service public l’élément central et le régulateur des transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales
L’idée consiste, dans chaque domaine de compétence, à déterminer un certain nombre d’actions à mener, et dont les charges en découlant seraient impérativement remboursées ou compensées par l’Etat. L’on pourrait ainsi garantir un seuil en deçà duquel les transferts financiers ne sauraient aller, et qui permettrait à chaque collectivité locale, et dans chaque service public, de prendre en charge effectivement les actions fondamentales.
Il est essentiel de remarquer que dans cette perspective, l’on partirait des tâches à accomplir pour évaluer les charges, et non le contraire. L’intérêt d’une telle démarche est que l’on ne s’enferme pas dans une simple logique financière lorsque l’on aborde la question des transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales.
Ce changement de perspective est important : les fonds de dotation et autres subventions ne constituent pas une fin. Ils sont simplement un moyen, un instrument pour réaliser des missions. Alors, ces missions doivent toujours être connues, puis constamment évaluées, actualisées et améliorées. La meilleure garantie que l’on peut en avoir c’est que les actions fondamentales soient effectivement l’élément central et le régulateur des transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales. C’est à cette condition que l’idée d’un seuil minimum de transfert aura un sens. Et c’est cette approche qui donne du sens à la notion même de « marche normale » du service public.
4.2 Organiser des transferts financiers modulables
Il importe de rendre les transferts financiers plus rationnels. Dans ce sens, les transferts financiers doivent être modulables dans leurs modalités d’indexation, mais aussi selon la collectivité locale et les charges spécifiques qui lui incombent. La modulation exclut ainsi le forfait aux collectivités locales.
Diverses dans leurs réalités, et par conséquent n’ayant pas à faire face à des charges strictement équivalentes – même pour un même service public – les collectivités locales ne doivent raisonnablement pas recevoir de dotation uniforme.
Dans le principe, c’est la décentralisation même qui commande de prendre en compte la diversité des situations et des contextes locaux, ainsi que la spécificité de chaque collectivité locale. C’est toute la problématique de l’articulation de l’unité et de la diversité.
Dans la pratique, les plans de développement local peuvent fournir les données nécessaires à un tel exercice. Toutes les collectivités locales en sont dotées. Ils donnent une vision à moyen terme du développement et de la politique d’équipement du territoire. Ils sont soumis à approbation, et peuvent constituer un cadre de convergence de diverses sources de financement.
4.3 Organiser des transferts financiers évolutifs
Les Etats eux-mêmes reconnaissent expressément le fossé incommensurable entre leurs obligations et leurs réalisations financières à l’égard des collectivités locales. En 2005, ils s’étaient engagés, à l’occasion de la réunion de la Conférence Africaine de la Décentralisation et du Développement Local (CADDEL) à promouvoir dans les dix prochaines années un accroissement significatif des transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales ; et d’autre part, à mettre en place des mécanismes juridiques et des fonds permettant de réaliser les objectifs de la décentralisation.
Cette nécessite vaut globalement pour toutes les dotations de fonctionnement comme d’équipement. Et, elle implique qu’en dehors des dotations spécifiquement accordées pour l’investissement, que soient intégrées dans les dotations de fonctionnement des parts affectées à l’investissement qu’induisent les compétences transférées. En effet, les nouvelles compétences des collectivités locales induisent de gros efforts d’équipement et le concept même de dotation de fonctionnement doit être reprécisé.
4.4 Faire bénéficier les collectivités locales des fruits de la croissance économique
Il est intéressant d’envisager la possibilité de faire bénéficier les collectivités locales des fruits de la croissance, mais aussi l’intérêt de contractualiser les transferts financiers.
Ce dispositif présentait trois avantages majeurs : la répercussion de la croissance économique sur les transferts financiers de l’Etat vers les collectivités locales ; la maîtrise par l’Etat de l’évolution harmonieuse de l’ensemble des concours financiers ; et la possibilité pour les collectivités locales d’avoir une vision pluriannuelle des transferts financiers, et par conséquent elles peuvent procéder à une programmation pluriannuelle des investissements.
Cette « solidarité » et ce « contrat » entre l’Etat et les collectivités locales, mais aussi cet arrimage harmonieux des différents concours financiers sont à imaginer pour améliorer le financement des services publics de base.
cp_services_publics1.pdf (2.1 MiB)
Falilou Mbacké Cissé
Spécialisé en décentralisation et en management du développement territorial, je suis un militant du « Local ». J’ai assuré les fonctions d’animateur national du Réseau « Gouvernance en Afrique » de 1999 à 2003. Membre du centre de ressources de l’Alliance depuis 2004, je suis chargé de l’appui aux dispositifs nationaux de travail (missions transversales de suivi, d’évaluation et d’appui méthodologique aux médiateurs, aux groupes d’initiatives, aux discussions sur les cahiers de propositions) et point focal du Groupe d’initiative « Gouvernance, décentralisation et développement local ».