I - Histoire et doctrine
L’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique relie des acteurs africains et non-africains engagés dans l’action et la réflexion, soucieux de promouvoir à la fois au niveau des citoyens africains et du monde, un dialogue sur la gestion des affaires publiques en Afrique. Elle constitue depuis 2003 le prolongement du Réseau « Dialogues sur la gouvernance en Afrique : Décentralisation et intégration régionale », réseau qui est né en 1999 d’une initiative de quelques personnalités africaines, ayant pour la plupart exercé de hautes fonctions dans leur pays et constaté, de l’intérieur, comment les processus de transformation du monde et des sociétés africaines échappaient aux africains eux-mêmes du fait de l’inadéquation de modes de gouvernance, importés ou imposés de l’extérieur, inaptes à répondre aux besoins des africains et renforçant l’incapacité de l’Afrique à répondre aux défis de la mondialisation.
La mission de l’Alliance consiste d’abord à relever un diagnostic et à le faire partager : celui de la « mal-gouvernance » dont le continent africain souffre aujourd’hui. La conviction de l’ « Alliance » est en effet qu’au-delà de ses manifestations les plus spectaculaires et de la mise en cause des gouvernants, c’est le mode de régulation même des sociétés africaines qui est en cause. Le parti pris consiste à repenser cette gouvernance-là, et donc à considérer que dans la critique de la régulation de la société, il convient de faire le départ entre les épiphénomènes et le phénomène, entre les facteurs conjoncturels de la mal gouvernance et la structure même de cette gouvernance.
Penser, ou repenser la gouvernance, c’est d’abord s’affranchir de la « vulgate » de la « bonne gouvernance ». Cette » expression toute faite » est, comme telle, vecteur de malentendus et de confusions. Mais au-delà de son maniement équivoque, elle donne l’illusion du simplisme et tend à faire accroire qu’il y aurait, pour sortir de l’ornière, des solutions déjà prêtes, des parades préconçues, des « recettes » qu’il suffirait d’appliquer à l’Afrique en particulier. L’on pense, dans cette perspective, qu’il existe une « grille » toute faite de la « gouvernance idéale », des critères objectifs et polyvalents susceptibles de fournir des instruments quasi infaillibles pour porter un jugement sur la manière dont les sociétés, toutes les sociétés, sont gouvernées.
Contre cette démarche normativiste et uniformisante, l’ « Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique » invite à une approche qui soit respectueuse des particularismes. Elle considère que si l’analyse de la gouvernance des sociétés humaines peut incontestablement révéler des « lois » ou des « constantes », il existe, tout aussi indéniablement, une spécificité de la « gouvernance africaine », qui commande une réflexion et une approche particulières. Le projet de l’ « Alliance » est ainsi, d’abord, porteur d’une méthode : celle qui, dans l’analyse, récuse les généralisations faciles ou une forme de « pensée unique » qui tendrait à couler dans le même moule toutes les sociétés.
Plus fondamentalement, il s’agit de partir du fait que les impasses de la gouvernance en Afrique sont trop importantes, trop persistantes, pour ne pas commander un « dépassement » de ses manifestations et, subséquemment, une interrogation sur le type même de gouvernance qui est proposé à ce continent. L’échec du modèle doit amener à s’interroger sur les voies et moyens de la mise en place d’un modèle alternatif de gouvernance. Il n’est donc pas question de fournir une solution de remplacement, mais de rassembler les matériaux pour cette autre gouvernance, de réfléchir à la substitution d’un modèle qui a montré ses limites.
La tâche est certainement immense. Elle ne peut à l’évidence être accomplie que par le concours de tous, elle implique, pour son succès, qu’aucune bonne volonté ne soit récusée, et que toutes les contributions soient traitées avec égard et attention.
Le projet de l’ « Alliance » est de contribuer à l’édification d’un projet de gouvernance propre à l’Afrique, conçu par les africains et profondément ancré dans les réalités de l’Afrique. Elle se fixe ainsi comme objectifs de :
• Construire un espace public interafricain de dialogue et de réflexion sur la gouvernance ;
• Elaborer et mettre en débat des propositions de changement de la gestion des affaires publiques en Afrique ;
• Mobiliser les acteurs étatiques et non-étatiques dans des initiatives pour une refondation effective de la gouvernance en Afrique ;
• Participer aux débats sur les questions de gouvernance en Afrique et dans le monde.
Dans la construction de ce projet africain de gouvernance, l’Alliance s’appuie sur une doctrine originale fondée sur :
• Une certaine conception de la gouvernance qui réfute le caractère exclusif des recettes uniformisées et universelles issues du concept de bonne gouvernance et que tout Etat doit appliquer comme un « kit » fondateur de sa légalité. L’option prise consiste au contraire à considérer que la gouvernance est plutôt l’art de gouverner en articulant la gestion de la chose publique à différents échelles de territoires, du local au mondial, l’art de réguler les relations au sein de chaque société. Cette démarche privilégie donc les approches « incarnées » et délibérément relativistes. Parce que les besoins varient en fonction des sociétés et des espaces, parce que les missions assignées aux instances de gouvernance doivent nécessairement se ressentir de cette variété, la doctrine de l’ « Alliance » aux antipodes de toute définition normativiste de la gouvernance. Au concept de « bonne gouvernance », il sera donc préféré celui de la GOUVERNANCE LEGITIME, eu égard au fait que la gestion des affaires publiques et l’exercice des pouvoirs doivent être au service du BIEN COMMUN, et qu’ils doivent postuler l’adhésion et le contrôle de ceux sur qui s’exercent ces pouvoirs. Il s’agit donc de partir du « bas » ou du « local », c’est-à-dire de l’identification préalable des besoins exprimés par les « gouvernés », la valeur de la « gouvernance » dispensée ne pouvant être appréciée abstraction faite de cette donnée. Force est malheureusement de reconnaître que dans nombre de démarches actuelles, la définition d’instruments de mesure et de suivi de la gouvernance tend à se substituer à l’identification préalable des changements voulus par les protagonistes.
L’ambition de l’ « Alliance » implique donc un intéressement particulier au procédé de la décentralisation. Le concept n’est bien entendu pas inconnu des Etats africains, mais la perspective de l’ « Alliance » invite sans nul doute à un dépassement de la pratique, aujourd’hui enregistrée, de cette technique de dissémination du pouvoir. Il s’agit, jusque-là et dans nombre d’Etats, d’une technique dont les pouvoirs centraux définissent le contenu et les modalités d’exercice. Le dialogue attendu entre la « base » et le « sommet » est loin d’être satisfaisant, parce que les populations locales n’ont presque jamais l’initiative du débat, et qu’en pratique, elles sont spectatrices plutôt qu’actrices. Il s’agit de redéfinir le contenu de la décentralisation, en reconnaissant une part plus décisive aux acteurs « à la base ». Dans la définition des besoins et priorités locaux, c’est à ces populations que devra revenir la part prépondérante.
Il ne faut pas perdre de vue la « révolution culturelle » qu’une telle perspective implique. Dans des contextes où la quête de l’ « unité nationale » a été élevée au rang de leitmotiv, où, à bien des égards, l’une des fonctions de ce nouvel être que constituait l’Etat consistait à gommer des particularismes compris comme autant de facteurs retardateurs de la cohésion de la nation, la valorisation des « spécificités locales » constitue certainement une rupture avec les habitudes de pensée. A une décentralisation dont, quoiqu’on dise, l’Etat central est resté le maître d’œuvre, il s’agit de substituer une décentralisation plus pénétrée de l’idée de légitimité, dont le contenu et les modalités pratiques dépendraient des « administrés » eux-mêmes.
L’accent mis sur la « base » ou le « local » ne procède cependant nullement d’un culte du particularisme ou d’une célébration forcenée de la différence. Le projet de l’ « Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique » se veut dans le monde, et non hors de lui. Le pari pris est qu’il reste possible de repenser les fondements de la gouvernance en Afrique sans se soustraire aux dynamiques plus amples de l’intégration et de mondialisation. Or, incontestablement, la voie du rapprochement des Etats africains entre eux constitue une piste pour sortir de l’ornière et aucune réflexion sérieuse ne peut faire abstraction de cette donnée. Au demeurant, ces Etats l’ont eux-mêmes inscrit dans leurs « agendas » politiques. Il ne saurait donc être question de l’ignorer. Mais sur ce terrain également, il est souhaitable que les approches et les méthodes changent. Le rapprochement des peuples ou des nations africaines ne peut pas être pensé à partir de schémas dont on ne fait que changer l’échelle, les méthodes qui ont montré leurs limites dans les Etats ne peuvent pas être transposées dans l’ordre régional ou sous-régional. Le décloisonnement des niveaux de gouvernance entre eux répond précisément à la nécessité d’appliquer à tous les niveaux la même méthode, et de sauvegarder ainsi la cohérence de la démarche. Au-delà de l’harmonie de celle-ci, c’est de la réussite même de l’entreprise qu’il est question.
• Des principes qui visent à éviter l’isolement des acteurs, le cloisonnement des échelles de gouvernance, la distanciation entre les expériences concrètes des acteurs et les réflexions sur la gouvernance en Afrique. Une gouvernance légitime se fonde sur une triple nécessité :
* décloisonner les niveaux de gouvernance entre eux, c’est-à-dire relier les initiatives, les expériences et les propositions faites à toutes les échelles (du local au mondial)
* relier l’action et la réflexion pour renouveler l’action, car le projet qu’il s’agit de défendre ne fait pas de la réflexion une fin en soi, mais cherche à articuler celle-ci à une pratique, il se pose donc la question de son application pratique
* partir des besoins et aspirations réels des populations pour les satisfaire, et apprécier les performances de la gouvernance relativement à sa capacité à répondre à ces besoins.
• Des « modes de faire » qui concourent à la légitimité de la gouvernance dans la mesure où ils privilégient le consensus, l’inclusivité et l’enracinement dans l’histoire et la mémoire collective des acteurs et de leurs sociétés. L’ « Alliance » privilégie en effet une démarche de type endogène. Elle considère qu’il n y a pas, a priori, une « bonne gouvernance » dont seraient redevables toutes les sociétés, et d’autre part, que parmi les facteurs qui expliquent le « mal développement » en Afrique, entre incontestablement en compte l’insuffisante prise en considération de la réalité africaine. Ce sont donc les instruments de l’analyse, les méthodes d’approche, qu’il faut revoir.
II - Productions et stratégie pour le changement
L’édification d’un projet africain de gouvernance vise à impulser mais aussi à maîtriser les changements nécessaires au rayonnement de l’Afrique. Depuis sa création, l’Alliance a progressivement construit sa propre stratégie de refondation en plusieurs étapes :
• Construire une « parole » africaine sur les questions de gouvernance : à partir de la collecte et de l’analyse de centaines d’expériences concrètes d’acteurs provenant de tous les milieux socioprofessionnels (Voir Profils de gouvernance, un diagnostic de la gouvernance en Afrique à partir des expériences concrètes d’acteurs, Cahier n° 2007-2), les premières propositions de refondation de la gouvernance ont été élaborées et diffusées sous la forme d’un Cahier « Changeons l’Afrique, quinze propositions pour commencer » et d’un projet de « Charte africaine sur la gouvernance légitime ».
• Valider, enrichir et valoriser les propositions de refondation de la gouvernance : les propositions issues des travaux de l’Alliance font l’objet d’une large mise en débat aussi bien en Afrique que dans le reste du monde à travers l’organisation et la participation à des rencontres nationales, régionales et mondiales. L’Alliance a ainsi été l’un des initiateurs ou animateurs de fora d’une grande importance, dont voici quelques uns :
* novembre 2005 : elle a organisé avec la Commission de l’Union Africaine un grand forum sur la gouvernance en Afrique (Voir compte-rendu et Enjeux de gouvernance en Afrique, Cahier n° 2007-1) ;
* janvier 2007 : elle a co-organisé avec l’Institut pour un nouveau débat sur la gouvernance (IRG) un colloque international sur « Entre tradition et modernité, quel projet de gouvernance pour l’Afrique » (Voir Actes du colloque de Bamako) ;
* janvier 2007 : elle a animé le stand gouvernance locale du forum sur la gouvernance organisé par les Nations-Unies à Vienne en juin 2007.
• Expérimenter les propositions et influencer les politiques publiques : la construction d’un discours sur la gouvernance n’étant pas une fin en soi, l’Alliance cherche à traduire sur le terrain les propositions de refondation de la gouvernance. Ce but justifie le passage d’un réseau à une alliance d’acteurs pour le changement qui associe à la fois des acteurs étatiques et non-étatiques. Le concept opératoire de mise en œuvre de cette stratégie est constitué par les groupes d’initiative, qui sont des espaces régionaux de dialogue, de réflexion, de proposition et d’expérimentation des innovations dans les modes de gouvernance. L’Alliance a ainsi créé quatre groupes travaillant chacun sur thème spécifique :
*Gouvernance, Décentralisation et Développement local ;
*Gouvernance, Culture et Pluralisme Juridique ;
*Gouvernance et régulation des conflits ;
*Gouvernance et Politiques Economiques.
Ces groupes sont complétés par un groupe sur le dialogue Afrique-Europe pour la refondation de la coopération au développement, groupe qui est constitué de partenaires européens et africains.
III - Organisation
Depuis sa création, l’Alliance est présente dans huit pays d’Afrique de l’Ouest et au Cameroun. Elle se construit progressivement pour constituer cinq pôles régionaux représentant chacun une région de l’Afrique. Le pôle Afrique de l’Ouest est déjà constitué et le pôle Afrique Centrale est en voie de mise en place à partir du Cameroun. L’organisation et le fonctionnement reposent sur la souplesse et l’efficacité.
Au niveau continental, un Conseil de l’Alliance, regroupant les fondateurs et de hautes personnalités, assure l’autorité morale de l’organisation et le respect de ses principes fondateurs. Chaque pôle est dirigé par un Coordonnateur et comporte un Centre de ressources qui appuie au plan technique le Coordonnateur. Dans chaque pays, une organisation nationale assure la médiation et le développement de l’Alliance autour des alliés.
IV - Partenariats
L’Alliance a développé un solide réseau de partenaires qui sont pour certains des alliés et pour d’autres des partenaires stratégiques. Elle a bénéficié ainsi du soutien notamment de la Fondation Charles Léopold Mayer, de la coopération française, de la coopération suisse au développement, de la Fondation du Roi Baudouin, de la coopération belge, etc.